Pour papi.

Le claquement fluide et effervescent de l’eau ne me laisse pas le choix : je dois m’asseoir. Il n’y a pas d’écrivain sans eau. Il n’y en a pas non plus sans air, sans terre ou sans feu. Le sable accueille mon corps toujours hésitant sans aucune chaleur. Le crépuscule n’est déjà plus. Il fait nuit et froid. J’observe la surface de l’eau sur la rive, calme, presque morte. Le noir semble avoir tout absorbé, sauf elle. On se croirait projeté dans un non-lieu cosmique, un espace endormi, oublié des étoiles elles-mêmes. Je suis assis. J’écoute battre la respiration océanique dont le mouvement perpétuel renforce le silence et son écho onduleux. Rien ne pèse ici, tout est légèreté. La solitude est de bonne compagnie. Elle réveille nos habitants profonds et leurs émotions occultées. De mon observatoire sablonneux, je vois le petit phare endormi, veilleur émérite aux songes stellaires. Personne n’entre ni ne sort vraiment d’ici : on vogue et jette l’ancre à l’envi. Les seuls récifs sont ceux du moment et de l’hésitation.

Derrière moi, la promenade du rempart est déserte. Seuls quelques lampadaires suspendent furtivement la mystérieuse et résonnante obscurité du lieu. J’aperçois, à la gauche du minaret, un petit arbre échevelé au tronc puissant. On le croirait atteint de quelque folie inoffensive, dément immobile, subjugué par l’océan qu’il confronte. Il n’y a personne. Pas même un fantôme. C’est ce qui rend l’endroit fantomatique. Même mon âme semble se dissoudre en ce lieu et cet instant dont la silencieuse et claire-obscure beauté n’émerge que pour exister, que pour qu’on la laisse être. Ce lieu serait sans moi. Il sera encore demain comme il était hier. D’autres l’ont-il dévoilé ? Peut-être. Surement. Je ne suis pas le seul promeneur aux rêveries solitaires. Certains choisissent le lieu de leur mort, d’autres celui pour y penser. Ici, dans le fond, peu importe qui frappe à la porte, c’est toujours l’éternité qui ouvre.

Julien De Sanctis