Je suis récemment parvenu à mettre des mots sur une expérience esthétique que la tyrannie et l’impertinence du langage immédiat qualifierait de « belle », de « splendide » ou encore d’ « époustouflante ». Plus précisément, je suis parvenu à interpréter une émotion très particulière qui, lorsqu’elle se manifeste, me pousse voire me force à parler de beauté. Or, pour être compris, le beau doit se refuser. Il n’est nullement besoin de décrire la scène en question. Il pourrait s’agir de cet olivier solitaire dont on ne saurait dire s’il aspire à rejoindre ou non le lointain qu’il confronte, ou d’une mer de nuage flottant autour de cimes enneigées, peu importe ; car c’est l’invariant émotionnel qui compte, le percept non raffiné que les mots trahiront forcément en lui faisant honneur.
Il y a, d’abord, une impression de totalité. Le corps est entièrement projeté dans un espace qui le déborde de part en part ; incrusté au cœur du tumultueux joyau environnant, il palpite au rythme des déferlantes qui l’écrasent de leur poids phénoménal. L’esprit ému comprend alors qu’il est un point de vue résolument incarné. Immédiatement, le spectacle se fait douleur ébahie. C’est trop pour un seul corps. C’est un cadeau dévorant. La pulsion conquérante est déboutée. Ceci n’est pas à toi. Ceci n’est à personne. Comment ferais-tu, petit être, pour prétendre faire le tour de ce qui se joue ici ? Le sublime qui s’offre à nos émotions pousse alors au désir de fusion : ce que je ne peux posséder, ce qui me transcende, je veux me dissoudre en lui, côtoyer ses atomes et me laisser emporter dans leur valse nucléaire. Soudain, la passion s’apaise. De son ardeur passée ne subsiste que l’essentiel, une flamme à la chaleur caressante qui défie sereinement l’habitude. C’est là l’histoire d’un appel qui nous chahute puis nous ancre.
Julien De Sanctis