La philosophie de terrain, hors-les-murs de l’Académie est une activité plutôt marginale, qui commence à peine -au moins médiatiquement- à sortir de l’ombre. Des cafés-philo aux ateliers en entreprises, en passant par le conseil, la discipline gagne du terrain en-dehors des universités. Cette arrivée sur le devant de la scène n’est pas sans susciter de nombreux débats quant à l’utilité et à la légitime de la philosophie en dehors des cadres scolaires et universitaires. Ainsi, on est amené à se demander pour qui et pourquoi travaillent les philosophes aujourd’hui ?
Deux articles publiés ces derniers mois ont retenu notre attention : le reportage “Socrate en open-space” d’Eve Charrin, publié dans le numéro 1097 de la semaine du 23-29 mars 2018 de Marianne, et la chronique de Gaspard Koenig dans Les Echos du 1er mai 2018, “Le philosophe, une valeur en or pour les entreprises”. Ces deux articles présentent des visions tout à fait différentes, marxiste pour l’une, ultra-libérale pour l’autre, au regard desquelles nous pensons qu’existe une autre vision, éloignée de toute idée préconçue sur la philosophie ou sur l’entreprise. En effet, nous constatons l’existence d’une philosophie de terrain protéiforme, porteuse de nombreux enjeux sur le rapport entre la pensée et l’action. L’ensemble de ces constats nous amène à développer en fin d’article 8 propositions en faveur du développement de ces nouvelles pratiques philosophiques.
Faut-il sauver Socrate du péril capitaliste ?
L’article d’Eve Charrin représente le versant pessimiste de l’arrivée de la philosophie en entreprise.
La journaliste s’est attachée à brosser un portrait au vitriol d’intervenantes telles que Flora Bernard (co-fondatrice avec Marion Genaivre de l’agence de philosophie Thaé) et Julia de Funès. Ces dernières œuvrent au sein des organisations sur le mode de l’atelier philosophique, dont l’objectif est de faire l’expérience dialectique de la pensée par soi-même, au sein d’un groupe, en explorant des concepts philosophiques comme le désir, l’éthique, la liberté ou encore le temps. Il s’agit d’une méthode orientée vers l’initiation à la philosophie pratique et la remise en question du prêt-à-penser qui, particulièrement en entreprise, pousse à utiliser des notions qui ne sont claires pour personne, tant chacun leur accorde des sens différents. En prenant ces interventions pour exemple, l’article de Marianne s’attache à dénoncer le rapport intéressé de l’entreprise envers la philosophie. L’atelier philosophique serait en réalité un espace de développement personnel qui ne dit pas son nom, destiné à rendre les salariés plus productifs. En somme, la philosophie pratique ne serait que le nouveau cheval de Troie du grand capital…
Les craintes de Charrin envers ce que l’on peut qualifier de “philowashing”, où la philosophie ne serait pas réellement pratiquée et ne serait qu’un vernis pour du coaching non assumé, sont tout-à-fait légitimes : le risque existe. Toutefois, nous regrettons que cette inquiétude soit utilisée uniquement dans le but d’alimenter un article à charge envers les philosophes praticiens en entreprise, sans réelle réflexion ni nuance. Nous regrettons également les exemples de pratiques choisis, auxquelles la journaliste applique, de toute évidence, sa matrice idéologique a priori (une attitude bien peu philosophique). Les retours d’expériences des ateliers participatifs pris pour cible par la journaliste sont plus que positifs. De nombreux salariés demandent à réitérer cette expérience qu’ils jugent enrichissante face à un quotidien surchargé et ankylosant sur le plan réflexif. A cet égard, on voit mal pourquoi leur refuser des exercices pratiques de pensée par soi-même. Enfin, quand bien même ces ateliers serviraient les intérêts du grand capital sur le plan de la productivité, l’hostilité de la journaliste à leur égard suppose un pouvoir qu’ils sont loin de posséder.
Eve Charrin s’attaque ensuite à la question de la monétisation de la philosophie et dénonce le salaire des intervenants… L’idée qu’un philosophe en entreprise est nécessairement un “vendu” est un lieu commun qui ne sort pas de nulle part et qui revient sans cesse depuis 2000 ans, avec la fameuse opposition entre les philosophes et les sophistes, les orateurs professionnels de l’antiquité grecque. On retrouve ici dans ce qui est dénoncé par la journaliste la livraison d’un contenu qui se veut philosophique, mais qui ne serait pas vecteur d’une véritable réflexion de la part des auditeurs. S’il est certainement possible de voir certains philosophes comme autant de vendeurs de discours “à emporter”, ils ne sont pourtant pas les seuls à occuper la nouvelle scène philosophique.
En parallèle à ce phénomène, d’autres pratiques existent et montrent jusqu’à quel point les philosophes, sortant des chemins traditionnels de l’enseignement ou de la recherche, œuvrent pour la transmission et la vulgarisation de quelque chose qui serait avant tout de l’ordre de la manière de penser, plutôt que du savoir ou de la culture générale. La dénonciation de Charrin suppose qu’un philosophe ne pourrait pas gagner d’argent grâce à sa pensée (pourtant, même grassement rémunéré, cela n’ôte rien a priori à la qualité de l’intervention philosophique !), ce qui renvoie au cliché du penseur dans les nuages, qui se nourrirait uniquement de sa sagesse… mais que l’on n’écoute pas, car trop éloigné du monde. Le penseur “vendu” serait sans âme, parlant pour ceux qui n’auraient pas la capacité de penser et dont on se méfie, car au service de cruelles et vénales éminences grises. En diabolisant l’argent gagné par certains penseurs, on sous-entend, par une logique assez absurde, que plus la paie serait basse, moins la pensée serait suspecte et plus elle serait de qualité.
Pourtant, aujourd’hui nous avons une chance inédite de rapprocher les univers de l’action et de la pensée, car ceux qui les portent sont humains, donc traversés par des forces opposées : l’une qui les appelle vers la fabrication, l’œuvre, le travail, l’autre qui les pousse à imaginer, analyser, juger.
En toute fin du reportage, une citation de Malik Bozzo-Rey (Maître de Conférences en Ethique Economique et Philosophie du Management, au Département d’Ethique de l’Université Catholique de Lille) évoque l’importance de conserver un équilibre lorsque l’on intervient en entreprise, par exemple en restant indépendant en étant maître de conférences par ailleurs : un équilibre “casse-gueule” selon Charrin. Nous regrettons que cette mention, tout comme celle de Thibault Brière (Délégué à la philosophie de l’organisation, au sein du groupe Hervé), n’aient été plus développées. Il eut été appréciable de lire des pistes de réflexion permettant de contrer cet équilibre jugé casse-gueule ; à moins de considérer que philosophie et entreprise n’ont rien à faire ensemble quoi qu’il arrive…
De l’autre côté, Gaspard Koenig adopte quant à lui une posture très optimiste et positive envers la philosophie en entreprise, à travers un angle de lecture purement économique et libéral.
Il avance tout d’abord une déconnexion, jusqu’ici assumée, de la philosophie et du monde professionnel, qui est à présent remise en cause. Il avance ainsi une « Revanche des humanités », chiffres à l’appui, en citant l’APEC et l’augmentation du taux d’emploi chez les diplômés concernés. Il cite également le Master professionnel de philosophie Ethires, formation de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne par laquelle les rédacteurs du présent article sont passés, et avance l’existence d’une tendance mondiale, que l’on retrouve jusque chez Google. Avec la prise en charge des tâches répétitives ou computationnelles par des robots, les humains peuvent se concentrer sur la quête de sens, ce qui explique selon Koenig cette émergence des philosophes en entreprise.
Si nous partageons pleinement le constat de ces bouleversements radicaux que connaît la posture du philosophe au sein des organisations, nous relevons que cet argument des multinationales comme annonciatrices d’une tendance générale risque de nous faire oublier une réalité expérimentée sur le terrain par de nombreux jeunes philosophes : la philosophie s’expérimente bien souvent dans des cadres fort différents, et les grosses entreprises s’avèrent plutôt frileuses. Nous constatons que les milieux associatifs, des secteurs tels que l’Économie Sociale et Solidaire par exemple, sont souvent bien plus ouverts aux profils alternatifs et qu’ils recherchent constamment une salutaire prise de recul sur leurs activités et leurs valeurs. Nous constatons également que si un besoin de réflexion éthique existe bel et bien chez les GAFA, ces tâches sont rarement (jamais ?) confiées directement à des philosophes, mais incombent plutôt à des juristes ou à des informaticiens.
Le risque de l’article de Koenig réside dans un enthousiasme un peu trop débordant au regard de la réalité de l’accès des philosophes aux entreprises et dans un passage sous silence des potentiels conflits d’intérêt qui découlent de ces rencontres.
Suite à la lecture de ces deux articles, nous avons le sentiment que les propos d’Eve Charrin et Gaspard Koenig se limitent à un cadre restreint, que nous proposons d’élargir en le rattachant à un phénomène plus global, celui d’un changement profond dans la pensée et l’action humaines.
L’émergence d’une philosophie de terrain protéiforme
Nous choisissons de ne pas définir la discipline philosophique selon une approche normative : nous estimons en effet que la philosophie ne devrait pas être “quelque chose”. En revanche, elle peut être une chance pour penser la société dans son mode d’existence complexe, instable et plurivoque. Nous ne sommes qu’au début d’un phénomène nouveau et nous constatons que la philosophie appliquée ne peut pas être réduite à la philosophie en/pour l’entreprise. Nous observons la dissémination de la philosophie ou, plus précisément, d’une pensée qui se veut philosophique, dans beaucoup d’autres secteurs et domaines d’activités (la pédagogie, la médecine, l’informatique…).
A partir de-là, nous examinons les pratiques existantes de la philosophie comme autant d’expressions d’un rapport entre la pensée et l’action (théorie et pratique), devant être chaque fois interrogé dans sa singularité. Ce rapport théorético-pratique dépend à son tour des individus qui lui donnent corps et de leurs compétences, missions et intentions. Ainsi, s’intéresser aux “Socrate en open-space” ne doit pas servir à dénigrer ceux qui auraient laissé tomber les vocations authentiques de leur profession, mais plutôt à nourrir une nouvelle interrogation sur où va la société et sur les changements qui traversent ses sphères d’existence, notamment celles du travail et du savoir. Limiter l’analyse à la philosophie en entreprise et, plus précisément à la philosophie supposément dévoyée en entreprise, c’est offrir une caricature de l’état actuel des applications de cette discipline qui ne correspond pas pleinement aux faits observables. Nous défendons une vision de la philosophie de terrain comme pratique sachant s’adapter aux contenus qu’elle explore, tout en étant capable d’y porter un regard nouveau et de les faire bouger. L’humilité qui caractérise notre réponse relève d’un enracinement sur le terrain.
A travers La Pause Philo, nous explorons depuis maintenant un an les bouleversements de la scène philosophique française et avons eu l’opportunité de rencontrer de multiples acteurs qui, chacun à leur échelle, tentent de faire bouger les lignes pour sortir la philosophie de ses cadres scolaires et académiques habituels.
Nous pensons par exemple à :
- Johanna Hawken, qui œuvre pour faire de la philosophie un « service public comme un autre » auprès de la municipalité de Romainville, en particulier auprès des enfants, et qui présente une réelle réflexion scientifique sur le sujet. Sur ce point, son travail de thèse se révèle très pertinent en ce qu’il prouve l’intérêt des ateliers philosophiques pour former son opinion et apprendre le respect de l’autre dès le plus jeune âge.
- Eugénie Vegleris, pionnière de la consultation philosophique individuelle en France, qui accompagne depuis plus de 20 ans des managers et des décideurs.
- Laurence Bouchet qui, quant à elle, a su prouver par le dynamisme de ses actions l’intérêt majeur des ateliers philosophiques et des consultations individuelles auprès de tous types de publics : enfants, détenus, salariés au sein d’organisations…
- Robert Bachelot sur la philosophie en prison, qui nous a exposé son rapport à la transmission d’un savoir dépassant les cadres de l’enseignement classique, en montrant la belle relation qu’il entretient avec ses élèves -public a priori le plus éloigné des sphères de la pensée philosophique telle qu’on l’entend habituellement- au sein d’un milieu pourtant des plus difficiles.
- L’enseignement en milieu scolaire n’est pas en reste, et des enseignants tels qu’Agathe Vidal, qui enseigne la philosophie à des lycéens de l’enseignement professionnel, montrent l’intérêt réel de cette discipline pour tous, quel que soit son parcours et sa profession.
- Du point de vue de la culture et de l’accès au savoir, la philosophie est depuis de nombreuses années mise au service du traitement de problématiques contemporaines, et rendue très accessible grand public, comme le montre le succès chaque année des journées de la Pop philosophie à Marseille, sur l’initiative de Jacques Serrano.
Ces quelques exemples tirés de nos rencontres ne prétendent pas constituer une photographie parfaite et objective des pratiques philosophiques hors-les-murs, mais ont le mérite de montrer concrètement que ce champ ce structure petit à petit depuis une vingtaine d’années.
Enfin, bien entendu nos propres expériences et celles de nos camarades du Master Ethires nourrissent nos constats et nos réflexions au sujet des bouleversements du monde de la philosophie. L’une de nos camarades de promotion, Juliette Didier-Champagne, nous avait livré sa réflexion sur la nécessité de changer l’enseignement de la philosophie à l’université, en expliquant la nécessité de faire de la philosophie de terrain, « hors les murs ».
Bien qu’il apparaisse encore difficile de faire bouger le monde universitaire, de nombreuses formations professionnelles en philosophie apparaissent, signe de l’aspiration de nombreux philosophes (en herbe ou non) à décloisonner leur discipline.
Nous constatons que beaucoup de jeunes philosophes fraichement diplômés ont connu des parcours interdisciplinaires, ou se sont mêlés de problématiques contemporaines très concrètes durant leurs études, avec la philosophie sociale, politique, l’épistémologie des sciences et des techniques etc. Notre année au sein d’Ethires nous a permis d’expérimenter des missions de terrain visant à formuler des recommandations concrètes aux organisations commanditaires. Ces expériences constituent le socle de nos convictions en matière de philosophie appliquée et nous ont très largement inspirés pour développer nos propres méthodes et pratiques d’intervention.
Nos expériences professionnelles nous montrent que les personnes ayant fait des études en philosophie sont appréciées dans des secteurs d’activité qui n’ont apparemment aucun lien avec la philosophie. On peut alors se demander si cela constitue la preuve que travailler/agir demande une prise de recul à même de produire une pensée, et si la philosophie, en tant qu’activité théorético-pratique, peut contribuer à éclairer notre rapport à l’action (ses finalités, ses moyens, ses conséquences…). Ne serait-ce pas finalement un indice du fait que la philosophie est considérée comme une manière de penser, et pas uniquement comme “contenu à penser” ?
Quelles voies possibles pour la philosophie de terrain ? Nos 8 propositions à destination des organisations et des philosophes praticiens
Pour conclure, nous avançons la nécessité de continuer à développer la philosophie dans les organisations, où tout est encore à construire.
Nous recommandons ainsi :
- Que les organisations osent recourir au dispositif CIFRE (Conventions Industrielles de Formation par la REcherche) avec des philosophes, ce qui est une excellente façon d’instituer la pratique d’une philosophie de terrain, qu’elle s’exerce en entreprise, en association ou au sein de d’une quelconque structure étrangère à l’université. La CIFRE “subventionne toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public”. Le thésard devient alors étudiant-salarié et se retrouve plongé au cœur de l’activité de sa structure d’accueil. Habituellement demandé par les doctorants en sciences dites dures ou économiques au sens large, cette modalité de financement/recherche nous apparaît comme une opportunité aussi passionnante que pertinente pour développer la pratique d’une philosophie hors les murs de l’Académie. La CIFRE donne un relief particulier à l’idée de philosophie “appliquée” puisqu’elle permet au doctorant d’effectuer son travail de recherche en prise directe avec les pratiques du secteur/produit concerné par sa thèse. Les retours d’expériences sur ce type de contrats doctoraux consacrés à la philosophie seraient extrêmement précieux pour mieux comprendre ce que peut signifier la “philosophie de terrain”.
- Que les organisations osent faire appel à des philosophes comme consultants sur des études de fond pour questionner leurs valeurs, leurs discours et la cohérence de leurs actions.
- Qu’un langage commun soit inventé : un philosophe doit pouvoir tenir un discours n’allant pas nécessairement dans le sens de l’organisation. Ce n’est jamais un rapport d’adaptation réciproque. Il s’agit d’une rencontre entre des sujets portant des intérêts différents, ce qui implique au moins deux temps parallèles : celui de la visite-analyse du philosophe au sein de l’organisation et celui de la réception-écoute en retour – ce qui n’est jamais exempté d’hostilités, voire de conflits. Le philosophe pense en “je”, l’entreprise pense en “nous”. Il faut que ce “nous” accepte d’être dérangé par le “je”. Si l’organisation ne joue pas le jeu (du je) elle aura un communicant, pas un philosophe.
- Que les philosophes dépassent leur ignorance des organisations, qui alimente très largement leur méfiance envers le monde du travail et en particulier envers les entreprises.
- Que les universités incitent les étudiants en philosophie à se confronter au monde de l’entreprise, et plus largement à pratiquer leur discipline au sein de tout type d’organisations, en développant des formations telles que le Master Ethires à l’Université Paris 1, le Master de Paris IV de Conseil éditorial, le Master Ethique à l’université de Nantes, le Master en Ethique, écologie et développement durable de l’Université de Lyon 3, etc.
- Que les philosophes praticiens eux-mêmes prennent la parole sur leur façon de travailler et à exposer comment ils pratiquent la philosophie concrètement. Il est nécessaire de faire connaître ces méthodes afin de contrecarrer les accusations de philowashing et la méfiance spontanée des philosophes « en-les-murs » pour leurs confrères « hors-les-murs ». Il faut pour cela sortir du secret généré par la crainte de voir la “niche” des philosophes praticiens exploser. Ce silence est contre-productif sur le long terme, s’ils espèrent voir la profession se développer. Cette communication autour de la philosophie en entreprise peut se manifester sous de multiples formes : des événements tels que la journée “Philosophie et entreprise” organisée par Michel Puech et Adélaïde de Lastic avec les universités Paris I et IV le 19 janvier 2016, ont déjà prouvé, de par leur succès, l’intérêt et l’attente d’informations des jeunes philosophes et des organisations sur le sujet. Nous regrettons qu’un tel événement n’ait pas été réitéré. Plus modestement, ce que nous faisons à notre échelle sur La Pause Philo nous semble également contribuer à faire parler de ces nouvelles pratiques philosophiques.
- Qu’une clarification du rôle qu’un philosophe “permanent” pourrait avoir en entreprise soit effectuée, notamment pour éviter la tentation évidente de l’assimiler à une fonction purement communicationnelle. A cet égard, il pourrait être intéressant de réfléchir à la création d’un réseau ou d’un comité de parties prenantes (philosophes, universités, chercheurs en théorie des organisations, personnes issues de l’entreprise etc.) chargés d’imaginer les règles déontologiques auxquelles une entreprise et un philosophe désireux de s’associer devraient se soumettre. Ceci permettrait d’encadrer et de définir la fonction de “philosophe en entreprise”. Les structures adhérentes de ce réseau seraient alors identifiées dans leur volonté de “jouer le jeu” dans leur recours aux méthodes de pensée et d’action philosophique. Loin d’être cosmétique, cette mesure faciliterait le travail scientifique d’évaluation par les pairs et permettrait de créer un référentiel précieux pour éviter le dévoiement des pratiques philosophiques hors-les-Murs”.
- Enfin, que soit retracée l’histoire de la philosophie de terrain et son évolution : où s’est-elle cachée pendant tous ces siècles ? Cette recherche ne doit pas mener à l’institutionnalisation de ces pratiques, mais à la précision de leurs limites et le repérage de leurs applications. Un tel état des lieux permettrait de différencier les opérations commerciales/promotionnelles de celles véritablement innovantes pour les deux domaines ici sont en jeu, le monde entrepreneurial et celui de la philosophie. Qui sont ceux qui se définissent philosophes ? Que pensent-ils et qu’offrent-ils ? Et qui sont ceux qui font appel à leurs services ? Pourquoi pensent-ils d’avoir besoin de “philosophie” ? Quelles sont les attentes réciproques de ces deux partis ? Pour reprendre le néologisme du “philowashing”: tout comme le “greenwashing” n’empêche pas la poursuite de la cause écologiste, les dérives de la philosophie en entreprise ne nient pas la comparution et la diffusion d’une rencontre entre les deux univers.
Terminons avec ce mot très inspirant de Georges Canguilhem, extrait de l’introduction de son œuvre Le Normal et le Pathologique : « La philosophie est une réflexion pour qui toute matière étrangère est bonne, et nous dirions volontiers pour qui toute bonne matière doit être étrangère. »
Marianne Mercier
Costanza Tabacco
Julien De Sanctis
Cet article est initialement paru sur La Pause Philo.