Je livre ici le résultat d’un entretien-café avec Irénée Régnauld, camarade blogueur, créateur de Mais où va le Web ?. Irénée est également consultant dans les domaines numériques et co-fondateur du think-tank indépendant Le Mouton Numérique qui apporte un éclairage critique sur l’innovation à travers le débat. « Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action », disait Bergson.

 

 

Cet entretien a été initialement publié sur La Pause Philo.

 

Julien De Sanctis : Peux-tu nous présenter la genèse de Mais où va le web ?

Irénée Régnauld : J’ai lancé Mais où va le Web ? en 2014 en réaction à l’enthousiasme un peu benêt, dénué de distance critique, qu’on ressentait ça et là dans les milieux « tech » au sens large. Mon premier article était une sorte de réquisitoire contre le Kindle, mais avec le recul, j’ai réalisé qu’il pêchait par excès de technophobie a priori. J’aime les livres, je passe beaucoup de temps à lire, et le Kindle symbolisait pour moi la fin de cet objet/activité fondamental. J’ai vite compris que je ne pouvais pas approcher la technique de cette façon. On peut être technophobe, mais pas a priori. Si on veut donner un semblant de scientificité à un propos, la position technophobe (ou technophile, d’ailleurs) doit découler d’une analyse, d’une argumentation qui nous fait en quelque sorte découvrir notre point de vue, aussi radical soit-il. On peut avoir l’intuition que telle ou telle technologie est géniale ou absolument délétère, mais il faut confronter un minimum cette intuition à l’épreuve du raisonnement et des faits. Donc par la suite j’ai vraiment essayé d’affiner mes publications. J’ai rencontré beaucoup de personnes très intéressantes, notamment des chercheurs, et j’ai compris que je ne pouvais pas me passer des travaux (livres, articles etc.) des gens sérieux qui écrivaient sur les sujets que j’abordais. Mais avant d’aboutir au format actuel qui me correspond bien, je suis passé par un certain nombre d’étapes qui m’ont permis de « devenir qui je suis » sur internet en quelque sorte.

J.D.S. : Et quel a été ce « devenir toi-même », du coup ?

I.R. : Une sorte d’entre-deux, que j’espère qualitatif, entre la masse des articles vraiment nuls, disons-le, qui pullulent sur internet, et les contributions très sérieuses, mais souvent pointues, que je lis et qui enrichissent considérablement mon point de vue. Tout ça donne une position un peu hybride, où je me définis avant tout comme blogueur, car ça offre une liberté et des modalités d’expression vraiment cools, mais aussi un peu comme chercheur.

J.D.S. : D’où te vient cette appétence pour les technologies qui t’a conduit à lancer Mais où va le Web ?

I.R. : Je ne sais pas si on peut parler d’appétence au sens où j’aimerais les technologies en elles-mêmes. Comme je le disais, j’ai surtout commencé Mais où va le Web ? par énervement envers le discours ambiant sur la technique. À vrai dire, je n’aborde pas vraiment la question technologique sous l’angle de l’affinité personnelle, mais plus sous celui du combat. « La technique ou l’enjeux du siècle », disait Ellul, je suis totalement en phase avec ça.

J.D.S. : Difficile d’effectuer une interview pour un blog de vulgarisation philosophique comme La Pause Philo, sans remarquer que Mais où va le Web ? a une rubrique « Philo-Web ». Comment t’est venue l’idée d’une telle rubrique et pourquoi ?

I.R. : Au départ, la rubrique n’existait pas et n’a pas existé pendant quelques temps. C’est au gré de mes interactions avec des philosophes qui s’intéressaient à la technique à travers le prisme numérique que l’idée et l’envie me sont venues. J’ai aussi pris conscience d’un paradoxe : il y a beaucoup de penseurs au sens large et de philosophes qui abordent le sujet des techniques, mais très peu qui sont payés pour le faire. Aujourd’hui tout le monde parle de technologie, tout le monde s’en émerveille ou s’en inquiète, mais quand on voit le nombre de philosophes présents en entreprise, on se dit que l’importance qu’on leur accorde dans le discours peine à se traduire en actes. Donc j’ai fini par créer une rubrique philo parce qu’on ne peut pas y échapper en quelque sorte. Faire de la philo conduit immanquablement à réfléchir à la question de l’Homme et réfléchir à la question de l’Homme mène directement à la technique. Et il faut ajouter à ça que la philosophie a l’élégance d’être très interdisciplinaire, surtout son versant appliqué aux techniques, qui intègre énormément de référence à l’anthropologie, la sociologie, le design, les sciences cognitives etc.

J.D.S. : C’est très juste, en effet ! Je remarque tout de même que cette interdisciplinarité se retrouve surtout chez les philosophes peu enclins à la technophobie (ce qui ne fait pas d’eux des technophiles pour autant). Simondon, par exemple, était aussi bien philosophe que physicien, et il s’opposait au « facile humanisme » technophobe. Avec Heidegger, la chose est bien différente : il me semble que celui-ci reste de A à Z dans le champ d’une philosophie techno-critique « chimiquement pure », puisqu’il aborde la question du point de vue ontologique, c’est-à-dire de l’essence. Ça ne rend pas ses réflexions moins intéressantes, mais peut-être plus (certains diront trop) abstraites. Pour en revenir à ta rubrique « philo-web », quels sont, d’après toi, les apports singuliers de la philosophie au thème de la technique ?

I.R. : Je dirais que la philo peut probablement se permettre d’être porteuse d’une critique plus radicale que les autres disciplines. La sociologie, par exemple, est très dépendante des usages car ses analyses doivent impérativement être empiriques. La philosophie n’expulse pas le rapport à l’expérience effective, loin de là, mais peut s’en détacher pour proposer une vision. Et ce qui se joue avec la technique, selon moi, c’est en grande partie une vision de l’Homme. Qui sommes-nous et, surtout, que souhaitons-nous être ?

J.D.S. : Et j’ajouterais que cette dernière question trouve au quotidien des bribes de réponses contextualisées dans les objets que nous concevons et utilisons. Mais avons-nous pris le temps de réfléchir à ce qu’impliquent ces réponses « matérialisées » ? Nos rythmes de vie rendent la chose particulièrement ardue ; la philosophie propose toutefois de prendre ce temps. De façon plus personnelle, comment définirais-tu ton rapport à la technologie ?

I.R. : J’ai un rapport ambigu aux technologies, comme à peu près toutes les personnes qui en font un sujet d’étude ; et j’essaie au maximum d’être en acte ce que je suis en parole. Concrètement, en ce qui me concerne, ça s’incarne dans la figure du logiciel libre, dont on pourra reparler. Je ne suis ni technophobe, ni technophile. Pour moi, la technologie est surtout une « excuse » pour parler politique. Il n’y a pas réellement de débat sur la technique, il n’y a que des débats sur l’Homme qui fait des technologies autant qu’il est fait par elles. On a du mal à penser la technique aujourd’hui ; ceux qui la pensent le plus fort sont aussi ceux qui la pensent le plus mal, comme les transhumanistes, pour ne pas les citer.

J.D.S. : Quel est selon toi l’enjeu principal du développement technologique à venir ?

I.R. : Je pense que le premier enjeu est celui du « à quoi ça sert tout ça ? ». Beaucoup de penseurs techno-critiques disent que le progrès technique vise l’augmentation de notre pouvoir sur le monde. De ce point de vue, l’enjeu réside dans les conclusions que nous pourrons tirer du questionnement de notre désir de puissance. Et je dis « désir de puissance », mais je pourrais dire « désir » tout court. La technique est une médiation au monde qui nous permet de plus en plus de ne pas réfléchir à ce qu’on fait pour assouvir notre désir immédiat. Ça débouche clairement sur un enjeu plus concret : l’écologie. Notre planète est limitée, spatialement, temporellement, mais aussi en termes de ressources, et c’est comme ça ! Il faut faire de ces limites une force. Il faut les mobiliser pour questionner notre désir de puissance et penser l’Homme au sein d’un espace avec lequel il doit être en osmose, pas en prédation permanente. L’Homme n’est pas un empire dans un empire, disait Spinoza. On n’a pas le droit parce qu’on peut, et nous sommes pas plus intelligents que les fourmis, par exemple. À l’intérieur de leur monde, elles sont d’ailleurs beaucoup plus intelligentes que nous, à commencer parce qu’elles ne détériorent pas leur environnement. Nous sommes si fiers de notre prétendue supériorité intellectuelle qui nous pousse entre autres à produire des artefacts ultra-complexes. Mais la technologie ne nous rend pas, ou plutôt ne nous rend plus, intelligents. Elle a certes permis l’hominisation (cf. Leroi-Gourhan), mais aujourd’hui, elle ne participe plus à l’émergence de l’intelligence. C’est d’ailleurs limpide quand on écoute les déclarations des grands représentants du milieu de la tech : ils ne savent plus quoi faire, alors ils se mettent en tête d’aller coloniser Mars ! Le pire, c’est que je suis pour qu’on colonise Mars, mais pas pour aller y chercher des ressources minières ! Elon Musk1 a raison en se trompant. L’enjeu est donc également éducatif : il faut donner les moyens aux gens de mieux penser la technologie, et de mieux nous penser en tant qu’êtres de désir. Par ailleurs, la technologie doit aussi nous servir à augmenter notre connaissance du monde, tout comme la philosophie d’ailleurs. Accroître la connaissance ne doit pas se faire au détriment de notre environnement ou de la civilisation (ça finirait de toute façon par nuire à cette quête de connaissance). C’est aussi selon ce prisme que l’on revient à la question initiale : “à quoi ça sert ?”.

J.D.S. : Tu disais tout à l’heure que la technologie est une excuse pour parler de politique. Quel doit être selon toi le rôle du Politique face à ces enjeux ?

I.R. : Conscientiser, réguler -je précise tout de même qu’on ne vit pas dans la jungle ; tout n’est pas rose, mais il y a déjà du bon travail qui est effectué-, apporter et/ou soutenir des alternatives. Contrairement au penseur, le politique est dans l’action. Le penseur peut se permettre de critiquer sans proposer d’alternative, pas le politique. Par exemple, aujourd’hui, beaucoup de gens pensent que la France manque d’indépendance numérique. Mais on ne peut pas dire ça et ensuite signer un contrat avec Microsoft pour l’Éducation ou la gendarmerie. Ça, ça ne marche pas en dehors des rapports très convaincants de 70 pages qu’on appelle du lobbying.

J.D.S. : Penses-tu que cela ait un sens de parler de technologie vertueuse ? Existe-t-il quelque-chose comme une « technologie bonne » à l’instar de ce que les Grecs de l’Antiquité appelaient la vie bonne ?

I.R. : Je ne sais pas si je saurai répondre à cette question… Je pense que les techniques transmettent des valeurs, qu’elles ne sont pas neutres, c’est certain, et qu’on commence à la comprendre grâce aux travaux de nombreux auteurs. Des plateformes comme Facebook commencent à la comprendre elles-mêmes et s’autorégulent. Elles réalisent qu’elles contribuent à faire l’opinion, par exemple, notamment suite aux différentes affaires de fake news, à l’élection de Donald Trump etc. Mais si on s’abstrait un instant de l’idée un peu générale que la morale ou l’éthique sont très relatives, je pense que oui, bien évidemment, il y a des technologies bonnes. Les technologies du bien commun, par exemples, comme les technologies écologiques et durables, ou encore celles qui favorisent l’autonomie de l’individu. Quand on arpente les couloirs du métro, ou partout ailleurs désormais, et qu’on est bombardés de messages publicitaires dispensés par des écrans d’affichage numérique, on finit immanquablement par acheter. Et je ne reconnais pas d’autre « intérêt » à ces technologies que celui de faire du fric en nuisant à l’autonomie de l’individu. Produire des technologies, c’est faire des choix de valeurs, mettre une valeur au-dessus de l’autre. Dans mon exemple, l’argent est privilégié au détriment de l’autonomie. La durabilité, je le disais, est aussi primordiale. Que propose-t-on lorsqu’on produit des biens qui tombent en panne au bout d’un an ou deux ? On ne respecte pas l’objet qui, comme le dit Simondon, contient de l’humanité, et du coup, on ne se respecte pas nous-mêmes.

J.D.S. : C’est un peu la consécration d’une vision de l’Homme (pour reprendre tes termes) comme client-vache-à-lait…

I.R. : Oui ! Et les entreprises qui versent dans l’obsolescence programmée ne se respectent pas elles-mêmes. Ça n’a jamais été glorieux de produire des biens viciés dès leur origine. Il faut aimer ce(ux) que l’on fait. Sinon, on agit pour quoi ? Au nom de quoi ? Rien de bien valorisant… Mais peut-être faut-il passer par un déficit de vertu pour construire, à terme, quelque chose de vertueux. Si on prend l’exemple de Deliveroo, il faut certainement passer par l’étape que connaissent actuellement ses livreurs pour avoir un meilleur modèle futur. Aujourd’hui, ils commencent à s’organiser en coopératives pour contrer la logique de « plateformisation », où les livreurs obéissent à des plateformes qui captent la valeur. Ils imaginent maintenant des systèmes coopératifs où chacun peut, à un moment donné, décider de ce que ponctionne la plateforme, pour quels besoins, qui est rémunéré, quels mécanismes mutualistes sont mis en place pour couvrir le risque etc. Voilà une technologie qui, dans son architecture, est pensée de façon vertueuse, car elle est faite par et pour ceux qui sont directement concernés, et n’est pas pensée dans les termes capitalistes réducteurs de la seule captation de valeur. Wikipédia c’est ça ; le logiciel libre c’est ça. Le problème c’est que les exemples ne sont pas légions. Pas encore du moins. Mais si le Politique ne s’empare pas de cette thématique et ne pense pas à travers ce prisme particulier, rien ne se fera. La vision des Communs actuelle de Macron, par exemple, n’est pas du tout dans cet esprit là. Il veut réguler les plateformes, mais il faut surtout en produire de nouvelle ; et il n’y aura même plus besoin de les réguler.

J.D.S. : Tu es co-fondateur, avec Yaël Benayoun, une jeune chercheuse indépendante, d’un espace de débat appelé le Mouton Numérique. Tu peux nous en toucher deux mots ?

I.R. : Le Mouton Numérique répond à l’envie de ne plus me cantonner à la critique intellectuelle du phénomène technique et d’investir dans le réel. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de communautés qui partageaient cette envie, et que j’aurais été très content de les réunir dans un café, autour d’une table pour discuter. C’est un projet « agoraphile », convivial en somme. Avec Yaël, on a ensuite dû trouver un nom. C’est elle qui a trouvé l’idée du mouton car elle travaille sur le conformisme –elle a écrit un mémoire extrêmement intéressant sur le sujet-. J’ai beaucoup aimé car le Mouton représente assez bien l’ambivalence de notre rapport à la technique : blanc quand il est de panurge, noir quand il se fait brebis galleuse, c’est-à-dire, dissident. On a adopté un format où deux personnes échangent sur un thème, parce qu’on en avait un peu marre des tables rondes à cinq où tout le monde parle pendant dix minutes sans jamais vraiment se répondre. On est donc parti sur un binôme disposé au dialogue, dont la pensée n’est pas forcément divergente, mais pas forcément convergente non plus, et que l’on place en situation de confrontation ou d’osmose, souvent les deux. Au final, c’est de la pure dialectique. On pense que le numérique est un « fait social total » comme aurait pu le dire Marcel Mauss. Il s’agit d’un phénomène qui touche tous les aspects de la vie humaine, ce qui permet d’ouvrir un espace de débat extrêmement large. Depuis la création du Mouton en mars 2017, on a eu des sujets sur les algorithmes, la mobilité du futur, l’éducation et la créativité, toujours à travers le prisme du numérique, bien sûr ; et maintenant on part sur le revers écologique d’internet et les révolutions arabes. En parallèle, on a créé l’association du Mouton Numérique   en juin, par le biais de laquelle on intervient également dans des organisations au sens large. Le Mouton Numérique, c’est un peu tout ça. C’est un outil de conscientisation, donc un outil politique.

J.D.S. : Je trouve la figure du mouton en effet très intéressante car elle assume le paradoxe très diffus socialement, dans lequel je me retrouve totalement, à savoir que j’ai un iPhone, mais que ça ne m’empêche pas d’être critique à l’égard d’Apple…

I.R. : C’est exactement ça. On est parti du principe qu’on s’adressait à des gens, toi, moi, le monde en général, qui sont tous dans un paradoxe, et qu’il ne faut surtout pas le nier, mais au contraire s’en saisir. Au début, on imaginait distribuer des masques de mouton à tous nos participants et adhérents, car au fond, on est tous des moutons aux deux sens que j’évoquais tout à l’heure.

J.D.S. : Après V pour Vendetta, MN pour Mouton Numérique ! Les Anonymous n’ont qu’à bien se tenir ! Tout à l’heure, tu as signalé l’importance que tu accordes au logiciel libre. Tu as dit qu’il était une façon de transcrire des paroles en actes, de faire corps avec une pensée de la technique. Je suis curieux d’en savoir un peu plus. Qu’est-ce que le logiciel libre, et qu’est-ce qu’il représente pour toi ?

I.R. : Alors, d’emblée, je préfère rappeler que moi aussi je suis un mouton, que je vis et entretien le paradoxe dont on vient de parler. Je ne suis pas uniquement sur du logiciel libre. Certes, j’utilise WordPress pour Mais où va le Web, qui est une technologie libre mais je suis aussi sur Facebook ou Twitter. Au-delà de ça, le modèle du « libre » ou du « commun », c’est le modèle de la contribution qui s’émancipe de la recherche du profit, et dont la valeur absolue est celle de l’utilité pour tous. Le logiciel libre permet aux utilisateurs de regarder ce qu’il se passe dans les coulisses, à l’intérieur du logiciel, de proposer une alternative à l’existant s’ils le désirent, pour que cela bénéficie à l’ensemble de la communauté. Wikipédia est l’exemple paradigmatique de cette logique. Simondon aurait été un fervent défenseur du logiciel libre car il permet foncièrement de connaître les créatures que sont les artefacts…

J.D.S. : … Et donc de ne pas subir l’aliénation de ce qu’on pourrait appeler le « syndrome du pur utilisateur », c’est-à-dire l’augmentation de notre dépendance envers des objets dont on ignore tout du fonctionnement !

I.R. : Exactement. Encore une fois, il vaut mieux réparer un objet, parce qu’on sait comment faire, que le remplacer. Le logiciel libre c’est ça : c’est un objet qu’on peut cultiver, comme « notre jardin ». Ça ne veut pas dire que tout le monde s’intéressera à la technique, loin de là. Je ne verse pas du tout dans la société du « tous entrepreneurs » et du « si on veut, on peut ». Une chose est sûre cependant : si on veut que les gens puissent, il faut leur donner les moyens de. Il y aura toujours des problèmes de répartition du savoir, d’éducation, d’intérêts, de divergences culturelles, mais ce n’est pas en créant des systèmes fermés qu’on pourra s’y attaquer correctement. Le logiciel libre a été inventé pour ne plus subir le numérique, pour que l’homme ne soit plus aliéné technologiquement comme tu dis, donc pour qu’il devienne technologiquement lui-même.

J.D.S. : Un mot de la fin très « blogogénique » ! Merci pour beaucoup pour tout ça ! On va conclure avec une petite question bonus : si tu étais designer ou ingénieur, quelle technologie, quel objet technique tu souhaiterais développer ?

I.R. : Selon moi, la destination n’est pas aussi importante que le chemin. Plus qu’un « quoi », c’est un « comment » que j’aimerais développer.

J.D.S. : Politique un jour, politique toujours ! C’est donc plus une méthode de conception que tu souhaiterais mettre au point ? Si oui, laquelle ?

I.R. : Je n’ai pas forcément d’idée précise, mais très certainement quelque chose en lien avec la philosophie, quelque chose qui prenne le temps d’interroger l’action. À cet égard, les cinq « pourquoi » du design thinking sont intéressants car lorsqu’on y répond intelligemment, en creusant au fond des choses, on aboutit souvent à des questions politiques qui peuvent être des guides pour l’action.

Irénée Régnauld est consultant dans les domaines numériques, auteur du blog Mais où va le web ? et co-fondateur du think-tank indépendant Le Mouton Numérique qui apporte un éclairage critique sur l’innovation à travers le débat. Pour le suivre sur Twitter : @IreR1.

1 Patron de Space X, une société dont l’objectif est de permettre les voyages sur Mars.