Crédit Photo : Julien De Sanctis

 

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France en janvier 1977, Roland Barthes explique que le langage est une structure de pouvoir fasciste en ce qu’il oblige à dire quelque chose (plutôt qu’il interdit de dire). En d’autres termes, le langage est un carcan qui formate jusqu’à notre façon de penser et d’agir dans le monde. Le sémiologue explique ensuite que c’est par la littérature que nous pouvons nous affranchir de cette tyrannie. Ainsi, la clé pour échapper au faire-dire du langage est à chercher dans une certaine pratique du langage permettant son propre dépassement.

Nous faisons tous, à un moment ou un autre, l’expérience de l’enfermement dont parle Barthes. Bien souvent, il se traduit par un frustrant “les mots me manquent” pour décrire une émotion, une idée ou encore une intuition. Personnellement, c’est lorsque je suis face à un splendide paysage que je ressens avec le plus de force, voire de violence le poids des geôles langagières. Tout se passe comme si l’émotion générée par la perception dudit paysage ne pouvait pleinement éclore et laisser sa trace indélébile (seule “possession” qui nous est accessible et permise face au sublime de la nature) sans être transcrit dans le langage. Or, bien souvent, “beau” est le seul mot que celui-ci met à ma disposition. Le sentiment de dépossession atteint immédiatement son paroxysme : pour décrire une sensation profondément singulière et personnelle, le langage m’offre un mot d’une extraordinaire banalité, tant il est vrai que nous qualifions de beau le moindre élément susceptible de ravir nos sens. En effet, dans le langage courant, nous disons indifféremment d’un homme, d’un chien, d’un tableau, d’un objet, d’un son ou encore d’un bâtiment qu’ils sont beaux. Or sont-ils beaux de la même manière ? Beau est-il seulement le bon adjectif pour les qualifier ? Qu’est-ce que la beauté, après tout ?

Notre plus grand ennemi sur ce point est peut-être plus le langage immédiat que le langage tout court. Car si je m’arrêtais ne serait-ce que 10 minutes face au paysage en question pour noter mes impressions et les mettre en forme par la suite, je parviendrais probablement à une description satisfaisante de l’impression qu’il fit naître en moi. C’est notamment à cet exercice que je souhaite me plier dans les futures méditation physanthropique. Je pense en effet que notre lien au monde et notre volonté de le préserver passent en partie par la capacité de ce dernier à nous émerveiller. Mais pour que cet émerveillement ne soit pas moqué et pour qu’il débouche sur une prise de conscience effective (au sens de productrice d’effet), il me semble nécessaire de restructurer notre rapport à ce monde qui nous émeut tant en apprenant à en parler (une autre mission pour l’école dans le cadre d’une démocratie écologique ?). Il n’y a qu’en scrutant à fond les effets des liens perceptifs qui nous unissent au monde que nous réaliserons l’importance de le préserver. La description phénoménologique me semble être un précieux outil pour mener à bien ce projet.

Le partenariat physanthropique que j’évoquais dans l’article “manifeste” sur le sujet a donc des racines profondément esthétiques.

 

Julien De Sanctis